Comment choisir les projets à soutenir ?
Chaque année, les mois d’octobre et novembre sont très chargés pour les équipes des programmes de soutiens. En effet, c’est à cette période que les associations françaises ou étrangères postulent à l’appel à projets de Solidarité Sida, espérant ainsi obtenir un financement pour l’année prochaine.
Julie, chargée des programmes France, et Matthew, chargé de mission à l’international lèvent le voile sur un processus peu connu mais capital pour l’avenir de centaines d’associations.
Quels sont les critères pour retenir un projet ?
Julie : L’appel à projets France de Solidarité Sida ne finance que des associations loi 1901 dont le siège social et le lieu de réalisation des missions sont situés en France, métropole ou DOM/TOM. Leurs projets doivent avoir pour objectif de répondre aux besoins de première nécessité de personnes infectées ou particulièrement vulnérables aux VIH et aux hépatites (c’est-à-dire proches ou exposés aux risques de contamination), vivant en situation de très grande précarité. Ces projets peuvent se décliner sous 3 formes.
Il y a d’abord les aides directes (sous forme de chèques de services ou d’aides financières) qui permettent de répondre aux besoins vitaux des personnes : l’aide alimentaire, le paiement des frais de santé, l’aide à la régularisation administrative, la prise en charge de factures EDF/GDF, etc.
Ensuite, nous finançons des aides en nature, c’est-à-dire la distribution de colis alimentaires ou l’organisation de repas communautaires pour des personnes qui n’ont pas de quoi manger. Nous n’avons malheureusement pas les moyens de financer des repas dont l’objectif principal est de créer un moment de convivialité.
Enfin, nous prenons en charge des dispositifs d’hébergement financés directement par l’association sous forme, bien souvent, de nuitées d’hôtel mais il peut s’agir également du financement d’appartements relais ou de résidences sociales.
Matthew : Solidarité Sida ne finance que les associations de droit local qui ont au minimum 2 ans d’expérience dans le domaine du VIH/sida. Il y a aussi un critère géographique, qui peut varier d’une année à l’autre en fonction des évolutions de l’épidémie et des priorités de financements arrêtées par notre Comité International. Cette année nous avons ouvert l’appel à projets à 17 pays d’Afrique et 4 pays d’Asie. Enfin, deux types de projets sont éligibles.
Nous finançons les projets visant à favoriser l’accès aux soins et aux traitements. Ils doivent absolument prendre en compte le suivi médical ou le suivi psychosocial. Ces deux éléments étant essentiels à la bonne marche d’un traitement.
Il y a également les projets de prévention de proximité. Ils visent une population clairement identifiée, et donnent ensuite lieu à des actions régulières de suivi, de prise en charge ou d’accompagnement de ces personnes.
Combien avez-vous reçu de projets cette année ?
Julie : Cette année, nous avons reçu 103 projets portés par 59 associations, ce qui équivaut à une augmentation de 5% par rapport à 2010. Il est intéressant de noter que 8 nouvelles associations ont postulé cette année dont 6 non franciliennes, ce qui reflète bien les difficultés que les associations de lutte contre le sida rencontrent, notamment en régions, pour financer leurs actions de terrain. L’état se désengage alors que les personnes suivies sont dans des situations sociales de plus en plus précaires. Preuve de cette tendance, trois partenaires soutenus par Solidarité Sida en 2010 ont cessé certaines de leurs activités faute de financements publics et n’ont pas candidaté cette année et pour les associations qui ont déposé un dossier, les besoins sont en forte augmentation (+15,5%).
Matthew : en 2010, nous avions reçu 282 projets, cette année on en dénombre 351 (+24%) ! Même si cela signifie que les besoins augmentent dans les pays du Sud, c’est très satisfaisant car significatif que la réputation de Solidarité Sida s’étend davantage. Parmi tous ces projets, 84 répondent à nos critères, dont 40 nouveaux projets et 44 qui sont des projets soumis pour reconduction, c’est-à-dire qu’ils ont déjà été financés en 2011.
Que vont devenir tous ces projets « éligibles » ?
Julie : Les dossiers reçus sont instruits par le Comité France de Solidarité Sida qui est composé de 9 experts bénévoles issus du monde associatif, reconnus pour leur connaissance des problématiques VIH/sida et des secteurs dont relèvent nos partenaires (prostitution, réduction des risques, migrants, familles…). Chaque candidature est co-instruite par l’équipe des Programmes France dont je fais partie. Cette double instruction garantit un traitement objectif des dossiers et nous permet de partager avec les instructeurs les informations contextuelles recueillies tout au long de l’année grâce au suivi de nos partenaires. Le 8 décembre prochain, le Comité France se réunira pour émettre des propositions sur les projets à soutenir et les niveaux de financement. C’est finalement le Conseil d’Administration de Solidarité Sida qui validera ces recommandations.
Matthew : C’est un peu pareil pour nous à l’international. La différence majeure est que notre comité d’experts est composé de 12 membres, dont 3 venant de pays du Sud (actuellement : une marocaine, un sénégalais et une ivoirienne). Il se réunira le 28 novembre et les projets financés seront menés du 1er janvier au 31 décembre 2012.
Est-ce qu’il y a une particularité « Solsid » ?
Julie : à Solidarité Sida, on considère que les malades ne peuvent pas se soigner de façon efficace s’ils ne peuvent pas s’alimenter, se loger ou avoir des papiers en règle. Notre particularité est de prendre en charge en partie ces besoins vitaux que quasiment aucun autre bailleur, public ou privé, ne finance, notamment en ce qui concerne les frais de régularisation demandés aux sans-papiers malades, dont le montant est tout simplement hors de portée pour une personne en situation de précarité (220€ minimum). Chaque euro distribué servira à aider concrètement l’usager d’une association partenaire. Nous essayons également d’être un bailleur proche de nos partenaires, pour ne pas limiter notre collaboration à une relation financeur/ financé. Cette proximité s’entretient et porte ses fruits car il nous arrive d’être sollicités par les partenaires pour les accompagner dans des projets plus larges que ceux pourquoi nous les finançons. La qualité du lien avec nos partenaires est très importante pour nous.
Matthew : Deux principes guident les actions menées par Solidarité Sida à l’international : la confiance dans les associations locales et communautaires et la complémentarité avec les initiatives déjà existantes. On dit toujours que l’on cherche à « faire avec » et non « à la place de ». Tous les projets que l’on soutient vont dans ce sens et grâce à cet accompagnement, les associations soutenues sont vouées à devenir autonomes. C’est également pour cela que Solidarité Sida finance des frais de fonctionnement comme le loyer ou l’électricité, et également des petits investissements tels que des achats de motos, d’ordinateurs, ou encore la réhabilitation de locaux. En effet, ces frais sont difficiles à faire financer alors qu’ils sont indispensables à la structure pour qu’elle se professionnalise et puisse mener sereinement ses activités.
Quel est le rôle de Solidarité Sida une fois que le projet est accepté ?
Julie : Les projets retenus font l’objet d’une convention précisant les modalités de versement des financements ainsi que les obligations en terme de suivi. 50% est versé à signature de la convention et le solde est débloqué une fois que l’association nous a renvoyé le bilan intermédiaire de l’action, le plus souvent en juillet. L’idée est de vérifier que les fonds sont bien utilisés et que l’association n’est pas en difficulté pour mener à bien l’action. Tout au long de l’année, nous menons des missions auprès de nos partenaires pour mieux les connaître, comprendre le contexte dans lequel ils évoluent et vérifier l’utilisation des financements que nous leur avons alloués. Comme nous ne pouvons pas aller rencontrer toutes les associations chaque année, il est indispensable de créer du lien avec elles, à distance pour leur proposer un soutien dans la mise en place d’outils de suivi ou de procédures. C’est ce qu’on appelle l’appui technique, qui peut être réalisé dans le cadre des actions que nous finançons mais aussi pour d’autres activités menées par l’association. Et nous ne laissons pas tomber les associations dont les projets ont été rejetés : certaines sont suivies pour que la qualité de leur dossier soit meilleure l’année suivante !
Matthew : A l’international nous fonctionnons de la même manière que le pôle France, nous demandons des comptes-rendus semestriels et organisons des missions terrain pour suivre les projets financés. Du fait de l’éloignement, nous échangeons régulièrement avec nos partenaires par mail et par téléphone, pour nous assurer d’être toujours à jour des avancées ou des problèmes au sein des associations, du contexte local, mais également pour fournir un appui technique ciblé. Nous accompagnons nos partenaires notamment pour la recherche de financements, la gestion financière et la comptabilité ou encore la rédaction de demandes de financement et de rapports. Enfin, il ne faut pas oublier Solidays. À l’occasion du festival, nous invitons tous les ans une trentaine de nos partenaires à venir pendant deux semaines à Paris. Il s’agit d’une occasion capitale pour tisser des liens avec nos partenaires du Sud et suivre les projets en cours. Le fait qu’ils soient tous présents au même endroit pendant ces 15 jours nous permet également d’organiser des ateliers d’échange d’expériences et de renforcement des capacités qui peuvent, par la suite, servir à améliorer la qualité de leurs actions menées sur le terrain.